L'intelligence collective dans le travail en famille
Ce texte a pour but d'exposer une réflexion en cours, un questionnement. En effet, depuis que j'ai commencé à travailler chez Autrement Dit, je découvre et vis la notion d'Intelligence Collective et cela se répercute doucement sur mon travail avec les familles. Quelle place donner à cette approche ? Quelles en sont les forces ? Quels sont les risques qu'elle représente ? Quelles sont les limites à y mettre ?
1+1=3
Dans notre travail d'équipe à Autrement Dit, nous nous rendons compte qu'en favorisant l'Intelligence Collective cela nous rend plus créatifs, nous permet d'affirmer nos compétences et d'en développer de nouvelles. Ensemble, nous avons la sensation d'aller plus loin que si nous faisions simplement la somme de nos individualités.
Cela demande à chacun un travail sur soi, une prise de recul pour adopter les postures et attitudes qui nous permettront de coopérer le mieux possible.
Depuis que j'expérimente cette façon de fonctionner, je me pose beaucoup de questions car cela renverse l'ordre culturellement instauré dans notre société, nos institutions, nos écoles, nos familles... Cela questionne le sens de la hiérarchie et de l'autorité. Chercher à favoriser l'Intelligence Collective suppose d'établir des rapports égalitaires, de se débarrasser des rapports de force et de domination, de donner la parole à chacun.
Des familles productrices de leurs propres solutions
Je vois tout le sens d'essayer d'amener nos pratiques en famille ; pour favoriser le respect de la parole de l'autre, s'assurer que chacun ait un espace d'expression, instaurer un cadre sécurisant, se mettre au service des problèmes que rencontrent nos usagers,... Cela permet aux intervenants sociaux de ne pas arriver avec des solutions toutes faites, et de favoriser la participation créative des personnes afin qu'elles soient elles-mêmes productrices de leurs solutions, de leurs changements. Dans "La compétence des familles", Guy Ausloos avance que les familles ne peuvent se poser que des problèmes qu'elles sont capables de résoudre. Raison de plus pour les soutenir dans un processus où elles trouvent leurs solutions par elles-mêmes, celles qu'elles sont en mesure d'appliquer.
Prise de décision, hiérarchie et autorité en famille
De ce fait, quel sens cela a-t-il de n'impliquer que les parents ? Pourquoi ne pas essayer d'intégrer au maximum les enfants dans la réflexion ?
Se pose alors pour moi la question de la prise de décision. Comment, avec les parents, définir ce qui appartient à leur rôle de parents et quelle place laisser aux enfants dans la discussion et dans la décision finale ?
Je vois déjà poindre les dérives d'un trop grand laisser-faire pour les enfants, dans des familles où parfois la problématique est justement le manque de cadre et de clarté dans les places et les rôles de chacun.
Les familles traditionnelles fonctionnent généralement de manière hiérarchique. Les parents sont en haut de la pyramide et décident pour les enfants. L'Intelligence Collective fonctionne plutôt sur un mode horizontal où les parents seraient au même niveau que les enfants. Cela amène alors la question de l'autorité telle qu'elle est souvent vécue par les parents : avoir de l'autorité, c'est décider pour les autres ; et que ces derniers respectent les décisions prises. C'est, dans l'absolu, donner des ordres et attendre la soumission de ceux qui se trouvent en-dessous. Est-ce vraiment une définition de l'autorité qui garantit l'épanouissement des enfants ?
Faire sens
Je pense à un livre qui m'a beaucoup apporté "Il est permis d'obéir. L'obéissance n'est pas la soumission" de Daniel Marcelli.
Dans ce livre, entre autres choses, l'autorité y est définie comme naturelle lorsqu'elle fait sens pour les enfants. Les demandes faites par les adultes doivent être expliquées, car plus un enfant comprend les enjeux d'une interdiction et mieux celle-ci sera respectée.
Avoir de l'autorité ce n'est pas avoir du pouvoir sur l'autre, c'est avoir des demandes qui sont respectées car elles sont sensées, comprises et raisonnables.
Travailler avec les familles signifie dès lors travailler sur leurs représentations de l'autorité, du respect, ou encore de la place de la parole des enfants. Donner une place aux enfants dans la construction des règles et dans l'analyse de leur situation familiale permet de les investir et qu'ils puissent donner du sens au cadre, aux règles de leur quotidien. Sans tomber non-plus dans les écueils d'un manque de cadre qui est également très insécurisant pour les enfants.
Six Chapeaux
Pour finir, je prendrais l'exemple d'un outil que nous utilisons en équipe et que nous transposons à présent en famille : les 6 chapeaux de De Bono (je vous invite à en découvrir davantage en cliquant ici). Cet outil permet d'avoir une discussion commune en étant tous ensemble en même temps dans le même mode de pensée (positif, critique, créatif, émotionnel, factuel, synthétique). Pour De Bono, ces modes de pensées sont tous essentiels et complémentaires. Par contre, ils ont du mal à s'entendre les uns et les autres s'ils s'expriment au même moment.
Pour s'exprimer, on fonctionne en tours de paroles. Cela favorise l'expression de chacun ainsi que l'écoute des uns et des autres. Le fait de tous se pencher en même temps sur la même façon de penser évite le phénomène d'étiquetage ("Ah lui c'est le pessimiste", "ah elle, elle est toujours dans l'émotion", etc.). Cela peut-être utile entre autre lorsque certains membres d'une famille, d'une fratrie sont stigmatisés.
Enfin, cet outil s'oriente sur la recherche de solutions. Tous les membres de la famille peuvent se mettre à rechercher ensemble des solutions sans limites (aucune limite de temps, d'argent, ni d'imagination), cela renforce la créativité. Il s'agira ensuite de décider ensemble des solutions que l'on souhaite tenter de mettre en place et comment y parvenir.
En conclusion, si l'utilisation de l'Intelligence Collective dans le travail en famille permet aux intervenants d'être à la fois plus ouverts, créatifs et de valoriser leurs compétences, il n'y a pas de raison que cela ne soit pas le cas pour les familles suivies, en ce sens que cela leur donne les outils pour pouvoir trouver leurs propres solutions. Et si je vois un intérêt plus que certain d'y inclure les adultes, il n'y a pas de raison de ne pas y adjoindre également les enfants. En effet, pour autant que le cadre soit suffisamment clair, cette approche peut être très favorable à leur épanouissement ; ainsi, un outil tel que les Six Chapeaux de De Bono permet à chacun de pouvoir s'exprimer et d'être entendu, de requestionner les places et les rôles de chacun ainsi que les relations d'autorité dans les familles accompagnées.
Huguet M.
Intervenante Sociale